La notion de biodiversité

Dès le début des années 80, les scientifiques utilisent l’expression diversité biologique (p. ex., Lovejoy, 1980).  La contraction, biodiversité, a été employé depuis le Forum national américain sur la BioDiversité, en 1986 (Wilson, 1988). La biodiversité fascine et est l’objet d’une attention particulière depuis presque 50 ans.   La biodiversité fait référence à la grande variété de vie dans toutes ses manifestations – des gènes aux écosystèmes, des bactéries aux baleines, incluant les humains, et des océans à la toundra arctique.  Plusieurs niveaux de biodiversité se distinguent et interagissent entre eux:

  • la diversité génétique qui représente la diversité des gènes entre les individus. Cette biodiversité représente le potentiel adaptatif des espèces face aux changements dans leur environnement. Elle permet de maintenir la viabilité des populations au cours du temps et, par la même occasion, augmenter les chances de survie de l’espèce.
  • la diversité spécifique qui représente le nombre d’espèces qui vivent dans un milieu donné. Chaque espèce possédant une diversité génétique qui lui est propre.
  • la diversité écosystémique qui représente la diversité et les interactions écologiques des écosystèmes. Elle comprend la diversité en espèce dans un milieu donné.
  • la diversité fonctionnelle qui représente la diversité des éléments qui vont influencer le fonctionnement d’un écosystème. Cette diversité inclut les diversités en espèce mais aussi la diversité dans leurs traits fonctionnels.

La biodiversité représente un patrimoine naturel indispensable au bien-être de l’humanité.  Depuis quelques temps, l’érosion de la biodiversité se fait à un rythme effréné au Canada comme ailleurs dans le monde à cause de la perte d’habitat, l’utilisation des ressources, l’exploitation du territoire, la pollution, les espèces envahissantes ou les changements climatiques. Cette perte de biodiversité entraîne des conséquences importantes sur l’économie mondiale et le bien-être humain. L’année 1992 marque un virage important avec la reconnaissance sociale et politique de la biodiversité lors de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement qui s’est tenue à Rio de Janeiro et avec la mise en place de la Convention sur la diversité biologique (CDB) de l’Organisation des Nations Unies (ONU) dont le Canada est signataire. Depuis l’utilisation du terme biodiversité s’est étendue de la communauté scientifique au grand public.  

 

L’érosion de la biodiversité

La communauté scientifique s’entend désormais pour dire que la diversité biologique subit une érosion généralisée à un rythme inégalé dans l’histoire de l’humanité. En 2017, la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature révélait que 28 % des plus de 92 000 espèces évaluées étaient menacées de disparition – une augmentation par rapport au 22 % cité en 1998 (UICN, 2017). Selon des estimés conservateurs, le taux de disparition d’espèces de vertébrés est présentement 100 fois plus élevé que le taux considéré comme normal. Ceci en mène plusieurs à conclure que nous assistons présentement au début de la 6e extinction de masse dans l’histoire terrestre (Ceballos et al., 2015). Pour une première fois, une extinction de masse est directement attribuable à l’activité humaine plutôt qu’à de phénomènes naturels (météores, cycles climatiques, etc.). On prévoit que ce taux de disparition atteindra son point culminant au cours des 50 prochaines années.

Parmi les groupes qui sont étudiés de façon plus intensives, les amphibiens semblent être le groupe le plus en péril, avec près de 40% des espèces menacées d’extinction (Monastersky, 2014). Pour d’autres groupes d’espèces, comme les communautés microbiennes, les insectes et les champignons, les connaissances sont beaucoup plus limitées et seulement une petite partie des espèces ont été décrites et étudiées. En général, les espèces évaluées par l’UICN pour les risques d’extinction ne représentent qu’environ 4% des espèces connues, ce qui représente une infime portion du nombre d’espèces total estimé sur Terre : entre 2 et 50 millions (Monastersky, 2014). Il existe donc beaucoup d’incertitudes et d’inconnus quant à l’étendue du déclin de la biodiversité.

Comme c’est le cas au niveau international, la biodiversité du Canada est menacée. Le nombre d’espèces d’animaux et de plantes considérées par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) comme étant disparues ou à risque, est à la hausse et le statut de plusieurs de ces espèces est en déclin. Des 735 espèces sauvages évaluées par le COSEPAC, 321 sont des espèces en voie de disparition, 172 sont menacées, 219 sont préoccupantes, 23 sont disparues du pays (c.-à-d. que l’on ne trouve plus à l’état sauvage au Canada) et 16 sont considérées comme disparues (Mooers et al., 2010).

Nombre d’espèces au Canada qui, selon le COSEPAC, seraient disparues ou en péril au Canada
Cette figure montre l’augmentation du nombre d’espèces, tous taxons confondus, qui ont été signalées comme étant disparues ou en péril au Canada (disparues du pays, en voie de disparition, menacées ou préoccupantes).

En plus de l’érosion rapide du nombre d’espèces, on assiste également à une diminution marquée de la taille de plusieurs populations. Par exemple, selon un récent rapport de l’IPBES, les populations d’espèces ont diminuées de plus de 31% en Amérique en comparaison à la période précoloniale. Selon un scénario de laisser-faire (business as usual), cette diminution pourrait atteindre 40% en 2050. De telles baisses sont également prévues sur les autres continents (IPBES, 2018).  Dans les réserves naturelles en Allemagne, Hallmann et al. (2017) ont observé une diminution de 75% de la quantité totale d’insectes volants. En France, plus de 55% des oiseaux ont disparus sur les fermes depuis 1980, ceci en lien direct avec la diminution des insectes desquels ils se nourrissent et de l’utilisation généralisée de pesticides.

Finalement, des taux élevés de diminution et de disparition de populations d’espèces peuvent provoquer une érosion de la diversité génétique nécessaire pour l’adaptation des espèces au changement constant de l’environnement et à la destruction de l’habitat. Avec un nombre suffisamment grand d’individus et donc une diversité génétique plus grande, les populations peuvent habituellement s’adapter aux stress environnementaux de façon graduelle. Par contre, les populations plus petites ont souvent des difficultés à s’adapter aux grands changements environnementaux, surtout lorsque ceux-ci surviennent rapidement et simultanément.

Il n’y a pas de consensus quant au rythme de perte de biodiversité que peuvent absorber la biosphère et la société humaine, mais les données semblent indiquer que le seuil planétaire critique qui définit le taux sécuritaire et tolérable de perte de biodiversité a peut-être déjà été franchi (Rockström et al., 2009).  De nombreuses recherches pour quantifier l’impact de la biodiversité sur les fonctions et les services écosystémiques (par ex. Naeem et al., 2009) ont permis d’établir que des niveaux réduits d’espèces et de diversité génétique peuvent avoir une incidence sur les processus écosystémiques, dont la production de biomasse, la fertilité des sols, l’apport nutritionnel, la dissémination des graines, la pollinisation des plantes, la résistance aux organismes envahisseurs, la régulation du climat régional et la protection contre des dangers naturels, comme les crues et les tempêtes (Crutsinger et al., 2006; Cardinale et al., 2007; Diaz et al., 2006, Cardinale et al 2012).

 

La notion de services écologiques

Le concept de service écologique ou écosystémique (SE) (Daily et al. 1997; Ma 2005) est particulièrement utile pour illustrer le lien social et économique avec le monde vivant: il s’agit de l’ensemble des bénéfices que nous retirons du fonctionnement (régulation du climat), de la gestion (aquaculture, services culturels associés à un espace protégé), de l’exploitation (pêcheries) ou de la destruction (exploitation de combustibles fossiles) des écosystèmes (Houdet et al. 2012). Ces bénéfices sont le résultat d’interactions, parfois complexes, entre biodiversité, structures écologiques, fonctions écologiques, processus écologiques, services finaux et bénéficiaires (Boyd et Banzhaf, 2007; Fisher et Turner, 2009 ; Ruhl et Salzman, 2007).

Il existe plusieurs manières de classifier les services écologiques, dont la classification publiée par le gouvernement canadien (Groupe de travail de l’Étude sur l’importance de la nature pour les Canadiens, 2017) afin d’appuyer l’analyse et la prise de décision pour les utilisateurs. Celle-ci présente l’intérêt de combiner la classification proposée par l’Évaluation du Millénaire (MA) à celles réalisée par le groupe The Economics of Ecosystems and Biodiversity (TEEB, http://www.teebweb.org/). Ainsi, le gouvernement Canadien classe les services écologiques en services d’approvisionnement (ex. pêche), de régulation (érosion, écoulement des eaux), culturels (spiritualité, identité culturelle) et de soutien ou d’habitat (formation du sol).

La valeur économique

La qualité de l’air et de l’eau, deux éléments essentiels à la vie, dépendent de cycles renouvelables et d’écosystèmes sains et diversifiés. Les forêts jouent un rôle clé pour une bonne qualité de l’air ainsi que pour la prévisibilité et la viabilité des cycles de l’eau, tout comme les organismes présents dans le sol sont importants pour la qualité du sol. Les plantes dépendent de la qualité du sol; les animaux dépendent des plantes. Ainsi, l’humain ne représente qu’un maillon dans cette chaîne qui risque de rompre s’il advenait qu’il abuse des ressources et déstabilise ainsi l’équilibre qui maintient en place la vie sur terre.

La biodiversité joue donc un rôle important de soutien pour la vie, un rôle sous-évalué par l’économie mondiale. Pourtant, les services écosystémiques mondiaux rendus par la biodiversité représenteraient une valeur monétaire de plusieurs milliards de dollars (Costanza et al. 1997), un argument économique convaincant en faveur de la conservation et de l’utilisation durable de la biodiversité (Balmford et al., 2002; Rudd, 2009).

Au Canada, la biodiversité est très importante pour l’économie puisqu’une part appréciable du produit national brut (PNB) lui est attribué (CDB, 2006). Par exemple, les services environnementaux fournis par nos écosystèmes boréaux, couvrant plus de la moitié de la superficie du pays, atteignent une valeur de 93 milliards de dollars par année, représentant environ 9 % du PNB (Anielski et Wilson, 2005). De plus, les avantages écologiques et socioéconomiques des services écosystémiques boréaux actuels pourraient être beaucoup plus importants que les valeurs marchandes des activités économiques en découlant (p. ex., foresterie, pétrole et gaz naturel, etc.).

L’effondrement de l’industrie morutière de Terre-Neuve-et-Labrador est un autre exemple de l’importance de la valeur économique de la biodiversité au Canada. Le déclin des populations de morues a occasionné la perte de 35 000 emplois, de même qu’une réduction de 200 millions de dollars par année de prises de morues (MacGarvin, 2001). Dans le même ordre d’idées, les espèces introduites envahissantes s’implantent et se propagent souvent très rapidement dans des milieux naturels où elles ne connaissent pas d’ennemis naturels. Elles délogent des organismes déjà présents, affectant ainsi la biodiversité locale et peuvent causer des maladies, affecter la qualité du milieu ou même détruire des écosystèmes (p. ex., moules zébrées, carpe asiatique, agrile du frêne). Au Canada ces espèces sont la source de dommages économiques qui atteignent les milliards de dollars annuellement (p. ex., Colautti et al., 2006).

Finalement, la biodiversité est aussi une source importante d’inspiration et d’innovation dans l’industrie pharmaceutique et dans les biotechnologies. Plus du tier des découvertes de nouveaux médicaments serait attribuable à des composés issus de produits naturels (Young 1999). Conserver la biodiversité est donc essentielle pour les découvertes futures.

La valeur culturelle

Les cultures humaines, passées et présentes, ont été grandement influencés par la biodiversité, créant la grande diversité culturelle observée à travers le monde. Des valeurs spirituelles, des croyances et même des pratiques culturelles telles que chansons, histoires et légendes montrent la relation étroite qu’entretient l’humanité avec l’environnement. La biodiversité possède également des valeurs esthétiques, de beaux paysages naturels intacts procurent du plaisir à ceux qui les admirent. Par ailleurs, ces valeurs esthétiques peuvent aussi devenir économiques en générant des revenus supplémentaires pour les jardins botaniques, les parcs nationaux et les aires de conservation de la faune, par exemple.

La diversité biologique et la diversité culturelle sont étroitement liée, et la perte de la biodiversité touche particulièrement le savoir culturel et les pratiques traditionnelles vitales au maintien des moyens de subsistance des peuples autochtones et des sociétés de traditions locales. Au Canada, des plantes comestibles à valeur culturelle, dont des algues marines (Porphyra abbottiae) et le pommetier du Pacifique (Malus fusca) étaient autrefois cultivées et consommées en grande quantité par les Premières nations de la côte ouest (Turner et Turner, 2008). Aujourd’hui, ces espèces répondent toutes deux à la désignation « à risque, au plan culturel ».

La science de la biodiversité

Les approches traditionnelles ne sauraient être suffisantes pour endiguer et résoudre la crise de la biodiversité. Puisque le changement de biodiversité émane de l’influence grandissante des humains sur leur environnement, il faut combiner à la fois des recherches en sciences naturelles et en sciences sociales.

Les sciences de la biodiversité sont donc un domaine multidisciplinaire utilisant des outils et des théories issues de différentes matières comme la biologie moléculaire, la taxonomie, la génétique, le savoir traditionnel, les sciences politiques, l’éco-informatique, l’économie et l’écologie. Les sciences de la biodiversité proposent un cadre d’étude intégrant les différents domaines politiques et scientifiques permettant de mieux répondre au changement actuel de la biodiversité. Mieux comprendre l’origine et le maintien de la biodiversité permettra ainsi de mieux prédire les conséquences de l’activité humaine sur celle-ci.  Sous-estimer la biodiversité revient à sous-estimer la valeur, les fonctions ainsi que les services qui sont obtenus par l’utilisation de la biodiversité et peuvent compromettre ultimement le bien-être humain (Seddon et al.,2016).

Néanmoins, la communauté scientifique n’a pas encore réussi à faire passer le message que nous sommes à l’aube d’une crise de la biodiversité (Cardinale et al., 2012), contrairement aux climatologues au sujet des changements climatiques. Ainsi, il a été démontré que la couverture médiatique des questions relatives à la biodiversité était huit fois moindre que celle des changements climatiques, et ce, malgré le fait que les deux questions font l’objet d’autant d’études scientifiques (Legagneux et al., 2018). De plus, la couverture médiatique liée aux changements climatiques était souvent reliée à des événements spécifiques (ouragans, inondations, etc…), ce qui n’est pas le cas de la biodiversité, puisque la perte de diversité semble être plus difficile à illustrer. La science de la biodiversité nécessite donc un développement et une adaptation continue, tant sur le plan de la recherche que sur le plan de la communication des enjeux et de le l’importance d’agir.